En 2023, quand les entreprises préservent l’environnement, c’est principalement avec un prisme économique . Julien Bonneau, dirigeant de Sociacom, dresse l’état des lieux de la prise de conscience écologique chez les entreprises du numérique.
Ne tournons pas autour du pot, la question de la transition écologique est très peu abordée dans le secteur de la transformation numérique, notamment chez les entreprises dites historiques. D’un côté, il y a les entreprises qui suppriment leur serveur pour passer en full cloud en déplaçant le problème chez des hébergeurs en oubliant d’indiquer l'empreinte carbone générée par ces solutions. De l’autre, il y a celles qui ferment un bâtiment après avoir mis toutes leurs équipes en télétravail. Mais au fond, est-ce vraiment le bénéfice pour la planète qui les guide ou le gain financier obtenu avec la location des bureaux vacants ?
Personne ne sait faire du Green IT
Quand j’observe les comportements et les remarques des directeurs de service, la réponse est claire : si des actions sont menées, ce n’est pas pour la philosophie de l’écologie mais pour la logique de l'économie.
Je pense, malheureusement que pas grand-monde ne sait vraiment faire du Green IT aujourd'hui. Comment rendre à la fois mon application, mon middleware et mon infrastructure moins polluantes ? Sur chaque couche, qu’est-ce que je peux économiser ? Peu de gens peuvent répondre à cette question actuellement. Individuellement, les acteurs approuvent l’idée. Organisationnellement parlant, les ressources ne sont pas formées. Et d’un point de vue décisionnel, l’engagement par la valeur, démontre que le ROI parfois est inexistant car les critères écologiques ne sont pas encore implémentés dans les critères décisionnels.
Au niveau des infrastructures, se pose le problème de la sécurité. La nécessaire redondance des données impose de fait de multiplier le nombre de serveurs par deux. La synergie entre écologie et cybersécurité semble alors antinomique.
Au niveau de l’application, réduire l’empreinte carbone nécessite de penser UX, UI, accessibilité et conduite du changement. Il faut modifier les usages et peut-être imaginer que nous n'ayons pas accès désormais à des services en temps réel afin d’économiser les sollicitations aux serveurs.
Former les collaborateurs
Je rejoins ici l’astrophysicien Aurélien Barrau : la grosse difficulté si on veut mener une transition écologique (dans le numérique comme ailleurs) sera que les gens acceptent de réduire leur confort.
Malheureusement, je constate au quotidien que même à un niveau individuel, dans mon secteur de la transformation numérique, si tout le monde admet l’existence du problème du réchauffement climatique, quand on veut modifier les comportements, on nous répond souvent : « de toute façon c’est pas moi à mon échelle qui vais changer les choses ». Le confort individuel passe encore devant l’engagement collectif.
Les gens, notamment les collaborateurs, demandent toujours plus de facilité, de fluidité, d’interconnexion, et à juste titre pour un meilleur confort de travail et une meilleure efficacité opérationnelle. Revoir son niveau de confort à la baisse ne va pas dans le sens de l’histoire. Le « je veux moins », n’est pour le moment pas audible.
Quant aux dirigeants historiques, je n’en ai pas rencontré un seul qui me dit « maintenant on va changer radicalement et faire de l’écologie ». Lueur d’espoir, de nombreuses nouvelles entreprises se créent, dont la vocation et la mission première est écologique, ce prisme et ce mindset change les choses car le produit final répond à la mission. Leur infrastructure IT est-elle plus écologique ? Je ne saurais le dire.
Je ne sens pas de mouvance d'entreprise. Il y a des réactions juste parce que ça fait bien, que c’est dans l’air du temps. Désormais, on n’est plus dans le greenwashing mais dans le « non green bashing ».
Alors que faire ? L’une de mes recommandations serait dans un premier temps de former les collaborateurs au green IT, au même titre que cela peut être fait sur un standard méthodologique comme l’agilité, afin que chaque collaborateur à son échelle puisse lors de sa conception ou de son exploitation orienter ses décisions avec un prisme écologique. C’est une démarche dans laquelle nous souhaitons entrer dans les mois à venir.
Apprendre en marchant
Chez Sociacom, que j’ai fondé et dirige depuis bientôt 10 ans, le problème se pose partiellement. Comme on est sur une activité de conseil, les collaborateurs utilisent les systèmes d'information des clients. A ce niveau, notre empreinte carbone est faible, mais notre activité est déportée sur celle de nos clients, alors comment la mesurer ?
Nous pouvons en revanche vraiment agir sur les modes de travail. Chaque personne a la liberté d’être en 100% télétravail. Nous finançons 100% du pass navigo, du Velib ou solution équivalente. Nos locaux sont implantés dans un bâtiment écoresponsable. Quand nous faisons des cadeaux, nous nous approvisionnons exclusivement en circuit-court avec du local, chez de petits commerçants.
Nous nous sommes interrogés sur la question des PC. La moitié des collaborateurs ont un ordinateur fourni par le client. A la différence de nos concurrents, nous ne leur donnons pas un second PC.
Pour le recyclage des PC, je suis assez surpris qu’il n’y ait pas de vraie solution. Quand je vois le nombre de PC brassés dans notre secteur, c’est surprenant. Il existe des solutions de reconditionnement professionnel ou associatif, mais elles impliquent toutes un surcoût pour l’entreprise. C’est quand même dommage.
Quid de nos clients problématiques ? En tant que petite structure, nous apprenons en marchant. J'ai déjà choisi de ne plus collaborer avec des clients qui ne possédaient pas la même éthique de management que nous. Je n'exclus pas de me poser la question quand un client ne sera vraiment pas aligné avec nos valeurs environnementales.
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